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La philo est-elle soluble dans le café ?

Des bars, des restaurants et des M.J.C. détournés de leur vocation première ou bien la retrouvant plutôt, attestent que le concept café- philo se développe, se diversifie en se multipliant, et par là rassemble davantage. Ce qui n'est pas sans soulever quelques interrogations. D'ailleurs, questionner n'est-ce pas l'essence même de la philosophie ?

La fin des grands débats idéologiques coïncidant avec l'essor des nouvelles formes de communication à distance, on pouvait envisager le déclin de tout dialogue direct entre trois personnes cultivées (voir deux)...
En ce sens, l'expérience de 92 tentée au bien-nommé Café des Phares à Paris pouvait paraître sans avenir. La tenue régulière d'une philosophie publique, exprimée par les gens présents, semblait ne pas pouvoir résister au noyautage d'intellectuels puristes, sur fond de concurrence Internet!
Cette estimation pêchait par pessimisme, puisque le succès de l'opération café-philo a donné lieu d'abord à un livre intitulé Un Café nommé Socrate, et surtout à un phénomène d'imitation dans la plupart des grandes villes françaises.
De plus en plus, la philosophie pénètre dans des cadres qui jusqu'alors lui étaient étrangers. Mais cette respectabilité ne la paye-t-elle pas au prix le plus fort : sa capacité à réellement interroger le monde ? Aujourd'hui, la demande publique existe, les gens ressentent cruellement l'absence de grands projets politiques et sociaux et <<tous n'ont pas envie de retomber dans l'ornière de la pensée magico-religieuse. Ils sont à la recherche d'instruments pour comprendre leur époque, veulent inventer des formes inédites de discussion ou de rencontre>>(1). Reste à savoir si le discours philosophique peut être vulgarisé sans être vidé de sa substance et s'il n'est pas déja trop tard pour qu'une pensée réellement originale puisse émerger dans notre société de consommation standardisée. <<Ce qui est intéressant dérange nécessairement. La véritable <<différence>>, si minime soit-elle, ne peut naître que d'un rejet du discours dominant. Elle requiert un anticonformisme résolu>>(2).
En tout cas, il n'est pas vain d'essayer de réinscrire la philosophie dans la cité et dans notre région, les expériences se multiplient.

Le débat est ouvert

Aix-en-Provence voit deux établissements effectuer ce retour aux pratiques de l'Athènes antique. Les premier et troisième dimanche de chaque mois, en bas du cours Mirabeau, au café Le Festival, salle du haut, Martine Kazan anime des débats dont le thème se décide collectivement en début de séance (10h30), parfois en fonction de l'actualité. L'ouverture d'esprit et la spontanéïté prédominent chez les participants dont le nombre s'élève parfois jusqu'à quatre-vingt.
Ouverture d'esprit également au Charlotte Restaurant, 32 rue des Bernardines presque tous les lundis soir puisque les discussions n'hésitent pas à s'ouvrir sur art et littérature. Ce rendez-vous existerait depuis plusieurs années au point même d'être peut-être antérieur à celui du Café des Phares. Il se proclame donc hors-mode et préfère le terme <<tchatche>> à tout autre.
A Marseille, la première initiative reste sans doute la plus courue. Elle se réunit depuis un an et demi environ un mardi par mois à La Passerelle (angle de la rue des Trois Mages et des Trois Rois). Ici le sujet est déterminé à l'avance et annoncé par tract (horaires : 19h30/minuit).
Comme le Café Festival et avec des caractéristiques semblables, La Samaritaine (en bas de la rue de la République, à-côté Vieux-Port) a choisi le premier dimanche de chaque mois à partir de 10h 30 pour faire circuler la pensée. La prise de parole s'organise par le biais d'un micro baladeur.
L'initiative de la M.J.C. située boulevard Emile Zola à Martigues mérite d'être signalée. D'abord l'horaire, 18h-20h, permet tant aux lycéens qu'aux travailleurs qui se couchent tôt de participer. Ensuite, le prospectus le proclame nettement : la parole de chacun est prise en considération quel que soit le bagage scolaire ; il s'agit de <<se sentir un peu plus citoyen>>. Résultat : salle comble, grande diversité des âges et milieux sociaux d'où décision de passer d'un rythme mensuel (un jeudi) à un rythme bi-mensuel (deux jeudis) avec une alternance bibliothèque municipale / M.J.C. Autre projet bucolique : en mai et juin, se transporter sur les pelouses environnantes.
Il existe même un café philosophique où l'on vous offre le café : c'est un vendredi par mois au Centre de Vie Palissy à Aubagne. Paradoxalement, on aborde des thèmes comme <<La mort sociale>>, alors que la vie sociale semble primordiale et définitivement mise à l'honneur.
Une philosophie populaire et essentiellement morale (éthique) se pratique donc en dehors des lieux consacrés (l'institution universitaire). Mais la philosophie ne peut s'exercer sans les philosophes. Et le fait que la demande augmente ne signifie nullement que l'offre suit. Et si l'offre suit, il faut encore qu'elle soit adaptée. C'est ce qu'on appelle un sophisme, non ?

Jef Perrimond / F. Kahn

Rens : Centre de Vie Palissy, 42 70 07 35 - M.J.C. Martigues : 42 07 05 36 - La Passerelle : 91 48 46 40 - Le Festival 42 27 53 04 - Chez Charlotte Restaurant 42 26 77 56- La Samaritaine : 91 90 44 95

(1) & (2) Christian Delacampagne dans le Magasine Littéraire (janvier 1996)


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